mardi 16 août 2016

Carte postale N°5


 
Fiction de nuage 


Ici. Au gré des saisons, nous nous sommes familiarisés avec les nuages qui drapent l’azur du ciel, de couvertures et d’arabesques inégales. Éther diapré de plomb irisé de vert et de jaune, parfois de noir menaçant, accompagné d’une horde houleuse enténébrée de froid, de pluie et de vents cinglants. Mais là. La charge cavalière des nuages terrasse et gomme la substance des montagnes à grands traits frottés. Les pointes acérées des pitons s’émoussent et impriment sur le grand livre du ciel une géographie inédite, comme si le massif prenait d’un coup plusieurs millénaires, nous laissant médusé face à tant d’assauts obstinés. Mais ce qui nous surprend, ce ne sont pas les innombrables métamorphoses de ce relief, mais le tour plein de malice que ces nuages jouent à notre imaginaire. Un imaginaire riche de fantaisies résiduelles de westerns spaghettis, visionnés maintes fois à l’âge de l’adolescence en rêve d’ailleurs et avide d’épopées fracassantes où les pâles cowboys affrontent les Indiens aux visages burinés par les frottements des astres, et dont les ancêtres, du bord de leur royaume d’ombre soufflent sur leurs vivants les signes d’une résistance au déclin.
Alors, face aux volutes gonflées d’impalpables nuages à la conquête d'un ciel s’élevant vers les silhouettes évanescentes des sommets, nous nous prenons à imaginer les signaux que les Indiens par-delà les montagnes adressaient à leur communauté ou vers quelques Dieux, suffisamment puissants pour que nos cœurs se répandent en de longs lamentos.