Carte postale N°5
Fiction de
nuage
Ici. Au gré des
saisons, nous nous sommes familiarisés avec les nuages qui drapent l’azur du
ciel, de couvertures et d’arabesques inégales. Éther diapré de plomb irisé de
vert et de jaune, parfois de noir menaçant, accompagné d’une horde houleuse
enténébrée de froid, de pluie et de vents cinglants. Mais là. La charge
cavalière des nuages terrasse et gomme la substance des montagnes à grands
traits frottés. Les pointes acérées des pitons s’émoussent et impriment sur le
grand livre du ciel une géographie inédite, comme si le massif prenait d’un
coup plusieurs millénaires, nous laissant médusé face à tant d’assauts
obstinés. Mais ce qui nous surprend, ce ne sont pas les innombrables
métamorphoses de ce relief, mais le tour plein de malice que ces nuages jouent à
notre imaginaire. Un imaginaire riche de fantaisies résiduelles de westerns
spaghettis, visionnés maintes fois à l’âge de l’adolescence en rêve d’ailleurs
et avide d’épopées fracassantes où les pâles cowboys affrontent les
Indiens aux visages burinés par les frottements des astres, et dont les
ancêtres, du bord de leur royaume d’ombre soufflent sur leurs vivants les
signes d’une résistance au déclin.
Alors, face aux
volutes gonflées d’impalpables nuages à la conquête d'un ciel s’élevant vers
les silhouettes évanescentes des sommets, nous nous prenons à imaginer les
signaux que les Indiens par-delà les montagnes adressaient à leur communauté ou
vers quelques Dieux, suffisamment puissants pour que nos cœurs se répandent en
de longs lamentos.