samedi 30 juillet 2016




Carte postale N°3
 
Attention chien méchant !


C’est un hameau bien tranquille. Un hameau ponctué de maisons identiques conformes au passé paysan, dont la disposition architecturale en phase aux multiples occupations est dédiée, pour l’une à l’habitation, pour l’autre à la grange, l’étable, la soute aux cochons, les clapiers à lapins, les écuries à chevaux, et qui s’achèvent à l’extrémité du mur par un escalier, voire une niche à chien. Les constructions étirent leurs longueurs en fonction du nombre d’habitants et d’animaux. Aujourd’hui, l’activité agricole s’est repliée vers les strates de l’histoire. Alors, chacun (héritiers et nouveaux propriétaires) s’applique à reconvertir, restaurer, rafistoler, embellir, déplacer, réhabiliter, en préservant ou détruisant telle ou telle mémoire. Une mémoire, qui selon les humeurs et les goûts mérite ou ne mérite pas d’être sauvegardée. In fine, le parachèvement du toilettage du hameau fixe les époques dans un simulacre de parure, comme s’il revêtait chaque jour ses habits cérémonieux du dimanche.

Marcher jusqu’à ce que la pensée se conjugue avec le réel. Car le réel propose toujours. Qu’il se fasse eau, air, vent ou autres sensations, son expérience se charge d’une variété d’images que notre pensée s’applique à débusquer afin de construire des récits.

Ce soir, le hameau s’apprête à s’endormir dans le palpable silence. Les hommes ont déserté leur espace extérieur vers le repli de leur chez eux. La maison aligne ses mesures aux belles proportions. Les murs blancs exaltent la pierre si particulière à la région. Blanche. Tendre. Favorable à l’égard des ciseaux du sculpteur. En accord avec le soleil déclinant, le toit répand son ombre sur la façade percée de fenêtres symétriques disposées de part et d'autre de la porte d’entrée que deux pots de géraniums rouges soulignent. Une bande de pelouse soigneusement taillée esquisse une assise dans laquelle l’architecture semble s’enchâsser avec légèreté, comme si la densité du bâti se condensait dans la parfaite géométrie du bourrelet herbeux.  Au-delà de la bordure végétale,  les gravillons blancs éclaircissent une cour dénudée.  Une deuxième bande de pelouse environne le périmètre de la cour, dont une extrémité se prolonge d’une aire rectangulaire non clôturée, à des fins potagères. Trois plants de tomate dressent leur verdoyante superbe vers le ciel. Les haricots verts et les pommes de terre déclinent une palette de vert qu’aucune feuille brune ne vient altérer. Nulle trace d’existence de l’ancienne soute aux cochons, des clapiers à lapins, de la niche du chien et du potager prolongeant le mur de l’enceinte s’ouvrant sur un grand portail. Ils ont disparu sous le coup de la loi de la tabula rasa, remplacés par un fossé à la section parfaitement trapézoïdale aux bords façonnés par la truelle, afin que les parois ne s’effondrent pas.

Ce qui frappe l’observateur jusqu’à l’assourdissement, c’est le silence de l’endroit, pas seulement le silence sonore, ni celui du vide ou des microphénomènes ; c'est la perception d'un silence total  qui oppresse le lieu, comme l'absence d’une herbe folle, d'une course d’un animal domestique, d'un envol d’un oiseau ou celui de l’inclinaison d’un arbre sous l’effet du vent. Comme si tout se pétrifiait hors du mouvement de la vie, du temps et de l’espace. Néanmoins, quelque chose frappe encore plus fort que le poids du silence. Une frappe que reçoit l’œil. Un coup de stylet en somme !

Seul, planté au milieu de la pelouse, un panneau de signalisation dresse son incongruité rouge frappée de lettres blanches. Attention chien méchant !

Ici

Les hommes