Carte postale N°3
Attention chien méchant !
C’est un hameau bien tranquille. Un hameau ponctué de maisons
identiques conformes au passé paysan, dont la disposition architecturale en phase
aux multiples occupations est dédiée, pour l’une à l’habitation, pour l’autre à
la grange, l’étable, la soute aux cochons, les clapiers à lapins, les écuries à
chevaux, et qui s’achèvent à l’extrémité du mur par un escalier, voire une niche
à chien. Les constructions étirent leurs longueurs en fonction du nombre
d’habitants et d’animaux. Aujourd’hui, l’activité agricole s’est repliée vers
les strates de l’histoire. Alors, chacun (héritiers et nouveaux propriétaires)
s’applique à reconvertir, restaurer, rafistoler, embellir, déplacer, réhabiliter,
en préservant ou détruisant telle ou telle mémoire. Une mémoire, qui selon les
humeurs et les goûts mérite ou ne mérite pas d’être sauvegardée. In fine, le parachèvement du toilettage
du hameau fixe les époques dans un simulacre de parure, comme s’il revêtait
chaque jour ses habits cérémonieux du dimanche.
Marcher jusqu’à ce que la pensée se conjugue avec le réel.
Car le réel propose toujours. Qu’il se fasse eau, air, vent ou autres
sensations, son expérience se charge d’une variété d’images que notre pensée
s’applique à débusquer afin de construire des récits.
Ce soir, le hameau s’apprête à s’endormir dans le palpable
silence. Les hommes ont déserté leur espace extérieur vers le repli de leur
chez eux. La maison aligne ses mesures aux belles proportions. Les murs blancs exaltent
la pierre si particulière à la région. Blanche. Tendre. Favorable à l’égard des
ciseaux du sculpteur. En accord avec le soleil déclinant, le toit répand son
ombre sur la façade percée de fenêtres symétriques disposées de part et d'autre
de la porte d’entrée que deux pots de géraniums rouges soulignent. Une bande de
pelouse soigneusement taillée esquisse une assise dans laquelle l’architecture
semble s’enchâsser avec légèreté, comme si la densité du bâti se condensait dans
la parfaite géométrie du bourrelet herbeux.
Au-delà de la bordure végétale,
les gravillons blancs éclaircissent une cour dénudée. Une deuxième bande de pelouse environne le
périmètre de la cour, dont une extrémité se prolonge d’une aire rectangulaire
non clôturée, à des fins potagères. Trois plants de tomate dressent leur verdoyante
superbe vers le ciel. Les haricots verts et les pommes de terre déclinent une
palette de vert qu’aucune feuille brune ne vient altérer. Nulle trace
d’existence de l’ancienne soute aux cochons, des clapiers à lapins, de la niche
du chien et du potager prolongeant le mur de l’enceinte s’ouvrant sur un grand
portail. Ils ont disparu sous le coup de la loi de la tabula rasa, remplacés par un fossé à la section parfaitement
trapézoïdale aux bords façonnés par la truelle, afin que les parois ne
s’effondrent pas.
Ce qui frappe l’observateur jusqu’à l’assourdissement, c’est
le silence de l’endroit, pas seulement le silence sonore, ni celui du vide ou des microphénomènes ; c'est la perception d'un silence total qui oppresse le lieu, comme l'absence
d’une herbe folle, d'une course d’un animal domestique, d'un envol d’un oiseau ou celui de
l’inclinaison d’un arbre sous l’effet du vent. Comme si tout se pétrifiait hors
du mouvement de la vie, du temps et de l’espace. Néanmoins, quelque chose
frappe encore plus fort que le poids du silence. Une frappe que reçoit l’œil. Un coup de
stylet en somme !
Seul, planté au milieu de la pelouse, un panneau de
signalisation dresse son incongruité rouge frappée de lettres blanches. Attention chien méchant !
Ici
Les hommes