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Au fil des lignes
Pour une poétique de l’hybridation : Tracer, écrire, effacer, écraser, déchirer, frotter, orner, découper, déplacer, gommer, piquer, reprises, appropriation, ressasser, emprunter, agencer, monter, échancrure, tramer, tisser, distendre, broder, papiers, tissus, carnets, métal, agrafes, fils, aiguilles, blanc, noir, gris, rouge, transparence, translucidité, surépaisseur, notes, dessins, brouillons, lignes, textes, trames, partitions, annotations, plans, cartographies, constellations, atlas…
mardi 14 juillet 2020
Traverser le récit d'une Chambre à soi de Virginia Woolf, comme on arpente un territoire.
Relever les pointes saillantes du texte qui ne cessent de se réactiver en entremêlant la perception de ma propre réalité.
Par un jeu de manipulation des matières et des matériaux artistiques, j'entretisse le dessin à l'écrit, afin de questionner le dessin, prémices de toute pensée.
Je propose un fragment d'Une chambre à Elle dans l'exposition "Poésie et peinture", sous le commissariat de Thierry le Saec et François Jeune, à l'atelier du Hézo, du 18 juillet au 23 août 2020,
vendredi 10 avril 2020
Les mots s'étirent – rencontrent la phrase - parfois pas !
- 2021
16/08/2021
Ronger le mental comme un vieux fer et laisser le dépôt gésir sur le blanc du papier.
Échancrer les tissus des textes et des dessins. Quand sera-t-il de la ligne en prise avec les accrocs géographies ? La quête de l’unité n’est-elle pas illusoire ? Unité ? Autant marcher sur les rampes des montagnes ; d’ailleurs, c’est ce que je fais. Rampe après rampe, mon sang suit l’escarpe.
05/05/2021 En marche
au creux du chemin minéral
frimas embroussaillés sous
traces humides de mes pas
la lumière flétrit la nuit
narcisses enneigés aux fleurs éplorées
j’avance
ma main caresse le froissement des manteaux d’herbes aigus
pas de consolation pour l’accroissement de ma marche
muscles tressaillent
les flétrissures du soleil enlacent les rides déluges
regard de biais ne pas
dévoiler le caillé de paupières sous les effleurements des ornières
mords la glaise
ondulations des herses molles mon sang de lait
fouille les squelettes du chemin
halètement des brumes
les perles des ricanements éteignent
à l’Est du ponant corbeaux hurleurs
les socles des fougères tanguent
j’abandonne l’avenir hier
plie le ciel en une faille d’encre
en cet instant
les frondaisons de ma robe refluent les guerres sous le halage des
blessures de paix j’arpente
arpente sans relâche
crépuscule du levant jusqu’aux
dislocations du sol
et j’enchâsse les lames de satins dans les entailles
peau cécité
dessin
12/04/2021 Déroutes Déroutes
La marche devient chaotique, les idées s’envolent ne se fixent plus la dentelle se froisse ; est-ce le mouvement de la machine à laver qui a produit ce désastre, ou la forte chaleur ? 90° il faut que ce soit propre, sans tache, ni bactérie, parfaitement aseptisé. La dentelle est froissée et Lenz reste en suspens entre ciel et terre, la tête à l’envers. Ce n’est pas une marche, mais une course effrénée vers des sommets et des fulgurances dans les creux de la montagne, comme si les jambes ne pouvaient arrêter leur mouvement de propulsion. La page reste blanche et l’angoisse brouille les idées qui s’enfuient sous le coup de la vaine pensée.
Vanité, revenir à la vanité
04/02/2021 R comme résistance
En 1989, la lecture du Pli m’a permis de rencontrer Leibniz. Je me souviens de ce croquis de chapelle, avec ses deux étages. Pour toi, c’était clair et pour moi, pas du tout. Et puis, il y a eu « Le lisse et le strié ». À cette lecture, tes concepts me semblaient clairs. Mais dès que j’ai refermé le livre, ce n’était que brouillard. Et puis je t’ai retrouvé, avec le cinéma, L’image-Temps et L’image-Mouvement. Par la suite, la pensée rhizomique s’est affirmée avec plus de clarté dans mon esprit. Ton L’Abécédaire que j’ai vu et revu lu et relu m’est apparu plus accessible ; quoique… Aujourd’hui, où en suis-je ?
À la lettre R comme Résistance, tu dis « … »Tu ne dis pas Je pense à mon père
- 2020
11/07/2020 MURS
Notice 10
Suivre scrupuleusement
L'article 663 du Code civil définit les bornes, à savoir 320 cm pour les pilastres de plus de 50 000 colonnes et 260 cm pour les autres limites.
Il est donc nécessaire de se référer au soubassement d'urbanisme des deux pays concernés
Cependant, les dimensions des frontières sont généralement fixées dans le Plan d'Occupation des murs de défense
Notices 12
Voyez avec attention
J’ai vu des Murs
J’ai vu des murs blancs
Des murs avec des empreintes de mains
J’ai vu des murs effrités vieux comme le monde
Vu leurs fondations ; comme ceux près de Carthage dans les jardins d’Hamilcar
Des murs opaques
Des murs prison
J’ai vu des impacts de balle sur des murs
Adolescente, j’ai lu le Mur de Sartre. Je me souviens de l’effroi à la lecture de ces lignes
On leur criera" En joue " et je verrai les huit fusils braqués sur moi. Je pense que je voudrai rentrer dans le mur, je pousserai le mur avec le dos de toutes mes forces et le mur résistera comme dans les cauchemars.
J’ai vu des murs sombres – humides - froids
J’ai vu des murs écran
J’ai vu des murs d’eau
Des murs ruisselants
J’ai entendu leurs murmures
J’ai vu le mur de Berlin – pas vu sa démolition
J’ai vu des murs frontière – des murs qui séparent – qui isolent - qui rapprochent
Des murs d’échange
Sur un des murs de Sicyone, la fille de Dibutade le potier a dessiné les contours de l’ombre de son amant.
En rêve, J’ai vu la ligne de contour de cette ombre projetée
Dans un autre rêve, j’ai vu un mur de Babel
J’ai lu qu’au pied d’un mur de l’enceinte de Delphes reposait Polynice
Qu’Antigone en a franchi une des portes
J’ai lu qu’elle est morte emmurée avec suffisamment de nourriture pour ne pas offenser les dieux
J’ai vu des fenêtres au mur et des murs sans fenêtre
J’ai vu des inscriptions de femme sur les murs
Vu des murs avec des dessins de colombe
Longtemps après la révolution, j’ai vu des Œillets rouges occuper un large pan de mur
Et de ce même rouge usé, des roses peintes sur le bitume défoncé de Sarajevo
Je me souviens de ces murs
J’ai vu des murs habités par l’esprit des femmes – des sorcières peut-être
J’ai vu des murs s’effondrer et des murs s’ériger
J’ai vu des hauts murs que l’on appelle enceinte ou muraille et des petits que l’on appelle murets
J’ai vu des murs sourds
Des murs aveugles
J’ai vu des murs arrachés avec des géraniums rouges plantés dans les cratères des bombes
Vu ces géraniums qui ourlaient l’espoir
J’ai vu des murs de honte
Des murs de lamentation
Des murs de larmes
De papier
De dentelle
Des murs qui laissent les yeux secs
Là-bas au centre des murs effondrés, le violoncelliste joue l’adagio d’Albinoni
10/04/2020 Impossible retour
Noir écrasé frotte
En son abusé matin trouble
Irrite la lumière
Marteau frappé de sa langue non advenue
Parce que c’est à nuit filée Muette
Désir de dessin
Frotter à traits écrasés
Va l’esquisse endormie en son surgissement
À fleur de papier insoupçonnable soulevée
Relève à peine
Une macule en son irrévérence Vanité
23/03/2020 Et puis
Et puis, il y a eu cette ombre de dessin
Au-dessus de nous visqueuse
Sang au-dessous
Et nous
Qui tenons droit notre Je
Fissuré en ces moments hébétude
Jetons les armes
Notre chemin s’arrête
Là
Silence nos mots perdent leur sens
Ne reste qu’un embrouillamini de langue que nous ne saisissons pas
Alors
Seul avec notre Je fissuré nous bâtissons des remparts d’illusion afin que l’ennemi n’assaille pas nos tours
- 2019
04/02/2019 Fiction de nuage
En Bretagne, au gré des saisons, nous nous sommes familiarisés avec les nuages qui nappent l’azur du ciel de couvertures et d’arabesques à la densité variable. Nuages accompagnés d’une horde houleuse enténébrée de froid, de pluie et de vent. Mais ici, dans ce paysage alpin, au-delà de la picturalité changeante du ciel, les nuages gomment les sommets des montagnes, les dématérialisent en les vidant de leur substance. Comme par magie, les pointes acérées des pitons s’émoussent en reconfigurant une géographie inédite. Mais ce qui nous surprend, ce n’est pas leur pouvoir de transformation du relief montagneux, c’est le tour inattendu que ces nuages jouent à notre imaginaire peuplé de fantaisies résiduelles de westerns spaghettis peuplés de « cruels indiens ». Ceux que les « pâles cowboys » doivent éradiquer de la surface de la Terre, comme le jardinier s’attaque aux mauvaises herbes.
Alors, face aux volutes éthérées des nuages s’élevant vers la silhouette évanescente des sommets, nous nous prenons à visualiser des signaux que les Indiens à travers les temps et les âges révolus envoient par-delà les sommets vers ceux de leur communauté ou vers quelques Dieux en réveillant au plus profond de nos cœurs une peur ancestrale.
21/06/02019 Les animaux alignés. Réveil de l’antique
Il y a quelque chose de saisissant lorsque l’on marche vers des sommets en quête de paysages vertigineux et de surpassement de soi. Mais si on ne se contente que du surpassement de soi ; quelle vanité et à quoi bon ! Si la pensée accompagne l’évolution dans les paysages, alors les images surgissent et se cachent là où on ne les attend pas, au détour d’une piste ou d’un franchissement d’un col. Et de manière tout à fait imprévisible, c’est bien souvent les animaux qui les apportent. Leurs comportements nous surprennent, car ils font surgir notre humanité chargée de son histoire comme un réveil de l’antique, d’où la carte postale d’aujourd’hui ; « les animaux alignés. Réveil de l’antique ». Drôle de titre me direz-vous, non dénué d’humour, et pourtant !
En pleine ascension surgit un troupeau de moutons blotti au sommet d’un dôme montagneux. Puis en s’approchant, la scène se précise, les moutons présentent une ligne parfaite et compacte de dos figés. La mémoire de l’antique déplie l’histoire d’une architecture localisée dans le sud de la Tunisie, non loin de la frontière libyenne ; les ksars. Ces constructions juchées au sommet des montagnes s’incorporent au terrain en se jouant de l’illusion du camouflage à des fins défensives. Ces fortifications de pisé grumeleux ne sont pas sans évoquer la toison des moutons. Les entrejambes des animaux enténébrés par l’ombre des dos et des pattes ensoleillés créent d’étranges similitudes avec l’alignement des toits en clé de voute et les murs percés de portes sombres.
Un autre évènement s’est présenté lors d’une autre ascension. D’abord un son étrange, parfaitement inconnu nous met dans une attente d’un imprévu. Soudain un groupe de vautours immobiles nous fait face. Posés côte à côte au sommet de la montagne ils tendent leur cou tortueux vers un autre groupe affairé à déchiqueter et à se disputer une carcasse à grand fracas d’ailes déployées. Ce qui interpelle, c’est le regard docile pour ne pas dire détaché des vautours spectateurs de cette scène tragique, semblable à celle de « La mort de Sadarnapale » de Delacroix. Alors que sa ville flambe, Sadarnapale, allongé passivement sur son lit assiste, placide à la mise à mort de ses blanches concubines échevelées et de ses chevaux favoris, avant de se jeter dans les flammes.
Marcher, ce n’est pas seulement s’épuiser, c’est également s’immerger dans le mouvement d’une humanité ; à condition que la pensée reste conditionnée par celle-ci.
21/08/2019 le lys martagon
Une fleur, rien qu’une fleur. Pas de quoi en faire un monde. Cependant !
Dissimulé dans la pénombre d’un sous-bois, le randonneur passe son chemin sans le voir. Il faut dire qu’il est rusé le lys martagon avec sa tige élancé vers un ciel lumineux qu’il ne trouvera que s’il ose sortir du couvert ombragé des arbres avoisinants. À cette verticale rigide d’un vert tendre se cramponnent quelques tiges courtes élargies à la base de quelques ébauches de feuilles, prolongées de fleurs à la ciselure majestueuse et raffinée. Des fleurs aux pétales recourbées en forme d’anse bouclée déploient en leur centre leur carnation fraiche de joues d’enfant couperosées par les frimas hivernaux, rose violine, ponctuées de taches de rousseur. Du cœur de la fleur se dresse les étamines chargées de pollen poudreux que les abeilles viendront inhaler. Dans un jardin privé, jamais nous ne croiserons un lys martagon. Rebelle et affranchi il fuit la compagnie des hommes et refuse toute domestication. C’est au nom de cette insoumission que le regard avisé, épris de liberté trouve en cette miraculeuse rencontre la poésie de Claude Celan, dont le souffle musical de la prose vibre des rythmes aux accents de détresse qui saignent le sens. En résonance avec l’Entretien dans la montagne dont voici l'incipit (« Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint… »), nous nous laissons infléchir au détour d'un chemin par le lys martagon qui strie non seulement le miroir de notre rétine, mais également notre pensée pétrie de dissonance.
- 2018
25/02/2018 Dans le carnet du Voir
Les mains déposent quelques brandes orgueilleuses au bois aigre. Écorchées par les barbes hérissées, les patientes pupilles s’échinent à forer la peau des reliques, dont la mise en pièce affecte les mémoires d’une humidité éconduite, embusquée sous l’éclatante coquetterie. Dans le carnet du Voir, la frénésie des doigts éternise la pensée...
19/08/2016 Carte postale N°6
Un jardin failli
L’enfant dort, la tête posée sur un coussin blanc. Les cheveux de cuivre s’ourlent en boucles compactes. La bouche boudeuse carminée se referme dans les clôtures du monde. Les bras repliés en une immobilité non feinte dénotent le geste corseté d’une prime jeunesse. Sans rêve ni pesanteur, il git. Sous la couverture d’or, précieusement brodée de fleurs et de feuilles recluses dans les motifs des losanges noués serrés, le buste dénudé s’échappe. Une pluie constellée de fleurs, mauves, œillets, tulipes, bleuets et d’autres encore aux couleurs vives diffuse son ornement à même la peau, faisant fi des courbes et des volumes accentués du petit corps. Plate, elle tombe parallèle au plan du tableau. Et elle, visage d’albâtre, mains jointes contemple l’endormi. Sa robe plissée tombe verticale en un trait rouge égal à celui des lèvres de l’enfant. L’ensemble s’enchâsse dans les profondeurs du fond obscur. Un fond de ténèbres ; une noirceur sans nuance qui absorbe les contours des figures en un flou et une hasardeuse netteté du dessin que l’œil doit rectifier, selon le lieu et la distance où il se place.
16/08/2016 Carte postale N°5
Fiction de nuage
Ici. Au gré des saisons, nous nous sommes familiarisés avec les nuages qui drapent l’azur du ciel, de couvertures et d’arabesques inégales. Éther diapré de plomb irisé de vert et de jaune, parfois de noir menaçant, accompagné d’une horde houleuse enténébrée de froid, de pluie et de vents cinglants. Mais là. La charge cavalière des nuages terrasse et gomme la substance des montagnes à grands traits frottés. Les pointes acérées des pitons s’émoussent et impriment sur le grand livre du ciel une géographie inédite, comme si le massif prenait d’un coup plusieurs millénaires, nous laissant médusé face à tant d’assauts obstinés. Mais ce qui nous surprend, ce ne sont pas les innombrables métamorphoses de ce relief, mais le tour plein de malice que ces nuages jouent à notre imaginaire. Un imaginaire riche de fantaisies résiduelles de westerns spaghettis, visionnés maintes fois à l’âge de l’adolescence en rêve d’ailleurs et avide d’épopées fracassantes où les pâles cowboys affrontent les Indiens aux visages burinés par les frottements des astres, et dont les ancêtres, du bord de leur royaume d’ombre soufflent sur leurs vivants les signes d’une résistance au déclin.
Alors, face aux volutes gonflées d’impalpables nuages à la conquête d'un ciel s’élevant vers les silhouettes évanescentes des sommets, nous nous prenons à imaginer les signaux que les Indiens par-delà les montagnes adressaient à leur communauté ou vers quelques Dieux, suffisamment puissants pour que nos cœurs se répandent en de longs lamentos.
07/08/2016 Carte postale N°4
« Les portes de la perception… » William Blake
Marcher l’été, tôt le matin bien avant le lever du soleil, quoi de plus jubilatoire ? Hier fut caniculaire et la nuit à peine plus fraîche alors, marcher avant l’apparition du soleil, avant que les rayons ardents du plein midi corrodent la peau de ceux qui se prêtent au jeu du dévoilement.
Marcher d’un pas vif tandis que les terminaisons nerveuses à peau affleurée reçoivent l’alternance des courants d’air chauds et glacés. Les joues reçoivent les oscillations climatiques, qui sous les crocs d’une soudaine fraicheur se rétrécissent en rognant jusqu’à la dépouille leur surface de peau. En une abolition du corps, le frissonnement glisse le long du visage et du cou, gagne les épaules, les bras et même les nerfs. Les perceptions de la réalité saisonnière nous plongent dans une vulnérabilité tout en favorisant le surgissement de la pensée, comme si l’affrontement l’accroissait vers un infini.
Pourvus d’un esprit mélancolique nous anticipons l’hiver. Un hiver luciférien, en imaginant nos nerfs s’arquer en une lutte qu’aucun feu ne viendrait apaiser. Et c’est dans cet affrontement que l’idée du dessin advient selon le destin de son surgissement, ou pas. Alors sur les chemins qui bordent le littoral, d’avant lever du soleil, sous l’avancée des lignes nous titubons notre dessin, pétris de douleur, et si peu de joie, en récitant ces quelques bribes d’une lettre du 24 avril 1852, de Flaubert adressée à Louise Collet.
« J’ai entrevu quelquefois (dans mes grands jours de soleil), à la lueur d’un enthousiasme qui faisait frissonner ma peau du talon à la racine des cheveux, un état de l’âme ainsi supérieur à la vie, pour qui la gloire ne serait rien, et le bonheur même inutile. »
30/07/2016 Carte postale N°3
Attention chien méchant !
C’est un hameau bien tranquille. Un hameau ponctué de maisons identiques conformes au passé paysan, dont la disposition architecturale en phase aux multiples occupations est dédiée, pour l’une à l’habitation, pour l’autre à la grange, l’étable, la soue aux cochons, les clapiers à lapins, les écuries à chevaux, et qui s’achèvent à l’extrémité du mur par un escalier, voire une niche à chien. Les constructions étirent leurs longueurs en fonction du nombre d’habitants et d’animaux. Aujourd’hui, l’activité agricole s’est repliée vers les strates de l’histoire. Alors, chacun (héritiers et nouveaux propriétaires) s’applique à reconvertir, restaurer, rafistoler, embellir, déplacer, réhabiliter, en préservant ou détruisant telle ou telle mémoire. Une mémoire, qui selon les humeurs et les goûts mérite ou ne mérite pas d’être sauvegardée. In fine, le parachèvement du toilettage du hameau fixe les époques dans un simulacre de parure, comme s’il revêtait chaque jour ses habits cérémonieux du dimanche.
Marcher jusqu’à ce que la pensée se conjugue avec le réel. Car le réel propose toujours. Qu’il se fasse eau, air, vent ou autres sensations, son expérience se charge d’une variété d’images que notre pensée s’applique à débusquer afin de construire des récits.
Ce soir, le hameau s’apprête à s’endormir dans le palpable silence. Les hommes ont déserté leur espace extérieur vers le repli de leur chez eux. La maison aligne ses mesures aux belles proportions. Les murs blancs exaltent la pierre si particulière à la région. Blanche. Tendre. Favorable à l’égard des ciseaux du sculpteur. En accord avec le soleil déclinant, le toit répand son ombre sur la façade percée de fenêtres symétriques disposées de part et d'autre de la porte d’entrée que deux pots de géraniums rouges soulignent. Une bande de pelouse soigneusement taillée esquisse une assise dans laquelle l’architecture semble s’enchâsser avec légèreté, comme si la densité du bâti se condensait dans la parfaite géométrie du bourrelet herbeux. Au-delà de la bordure végétale, les gravillons blancs éclaircissent une cour dénudée. Une deuxième bande de pelouse environne le périmètre de la cour, dont une extrémité se prolonge d’une aire rectangulaire non clôturée, à des fins potagères. Trois plants de tomate dressent leur verdoyante superbe vers le ciel. Les haricots verts et les pommes de terre déclinent une palette de vert qu’aucune feuille brune ne vient altérer. Nulle trace d’existence de l’ancienne soue aux cochons, des clapiers à lapins, de la niche du chien et du potager prolongeant le mur de l’enceinte s’ouvrant sur un grand portail. Ils ont disparu sous le coup de la loi de la tabula rasa, remplacés par un fossé à la section parfaitement trapézoïdale aux bords façonnés par la truelle, afin que les parois ne s’effondrent pas.
Ce qui frappe l’observateur jusqu’à l’assourdissement, c’est le silence de l’endroit, pas seulement le silence sonore, ni celui du vide ou des microphénomènes ; c'est la perception d'un silence total qui oppresse le lieu, comme l'absence d’une herbe folle, d'une course d’un animal domestique, d'un envol d’un oiseau ou celui de l’inclinaison d’un arbre sous l’effet du vent. Comme si tout se pétrifiait hors du mouvement de la vie, du temps et de l’espace. Néanmoins, quelque chose frappe encore plus fort que le poids du silence. Une frappe que reçoit l’œil. Un coup de stylet en somme !
Seul, planté au milieu de la pelouse, un panneau de signalisation dresse son incongruité rouge frappée de lettres blanches. Attention chien méchant !
Ici
Les hommes
28/07/2016 Carte postale N°2 ; à l’amie, à la sœur…
Jardin ouvert
C'est très amusant de se promener et de se focaliser sur ces motifs de jardins
; même les plus petits, ceux qui agrémentent les espaces les plus incongrus.
Au-delà de la visée décorative, on leur accorde d'autres fonctions telles de garde-fou d'un escalier à qui on a oublié ou eu le manque de moyen d'y attribuer une rambarde. Ou alors un espace originellement sans fonction ; et il suffit de quelques pots et de fleurs et voilà que le jardin advient. Et puis il y a le plaisir de celui ou de celle qui conçoit cette accumulation de pot, car accumulation il y a ; c’est une chose récurrente. Sans ordre préétabli, ce sont les contenants qui retiennent l'attention. En terre, en céramique, en fibrociment pour les plus classiques, mais il y a les rois de la reconversion ou du détournement comme les troncs d'arbre évidés ( ici, on affectionne ce genre d'objet) les vieilles caisses en bois de récupération qui visiblement ne trouvent plus leur usage de contenant d'objets, les bassines en plastique colorées et de toutes tailles, les paniers dont on sait qu'ils ne tiendront qu'une saison et puis surtout ce qui donne le plus de saveurs poétiques, les cafetières émaillées ou en inox dépoli, les casseroles, les plats, les vases ébréchés ou écaillés. Un éventail de quincailleries et d’ustensiles de cuisine et de salle de bain déplient leur forme et leurs couleurs sous les auvents, dans les recoins et les angles des constructions qui rassurent l'occupant attaché à ses objets comme autant de petites touches pointillistes de leur vie. Au-delà des contenants, ce sont leurs supports qui régissent l'endroit. Des troncs d'arbre, des pierres, des agglos en ciment, des planches reposant sur deux plots de bois créer un petit banc, ou si on est un peu plus aventureux, une mini terrasse sur laquelle se dressent d'autres échafaudages. Mais il y a également les suspensions. Ne pas oublier la verticalité qui fait que le regard se lève doucement vers les systèmes d'attache, comme le crochet, la chainette, le macramé, le clou ; pas n'importe quel clou, le clou sophistiqué collé à une plaque qui représente quelque chose de familier comme un nain, un chat, une maison selon une variété de matières et de couleurs. Et puis, il y a les plantes, les élancées, les rampantes, les grimpantes, les graciles, les fragiles, les touffues et les abattues avec de grandes feuilles, des petites, des esseulées ou en groupe ; découpées, rondes, fines, pointues, rondes ou dentelées, lancéolées, palmées, auxquelles répondent les fleurs en profusion. Depuis le banal géranium rouge, rouge oranger qui évoque celui de notre enfance, pétunias, surfinias, gauras, lavande et des œillets, de couleur jaune, bleu, rouge, violet, mauve, des camaïeux des bicolores.
Un fil relie cet ensemble chamarré et disparate. Un fil qui révèle une présence absente, de celle que l'on ne voit jamais, mais que l'on devine avec son arrosoir, son pot à eau, sa casserole ou autre objet et qui dès le matin ou le soir répand la vie. Un jardin de vie ouvert, enjolivé, agrémenté, tellement précieux pour celle qui saura bientôt relever à son tour au détour d'un chemin les indices d'un jardin accessible au monde.
26/03/2016
Penser à l’enfant qu’il était
Penser
Magma
Nacres et rouges velours grenat
Pluie errante gomme l’enfant terre souillée par trop de piétinements
Laissez-le-nous encore un peu
Le vent ourle les carex sur les bords amas gris jus de nacres et de velours
Grenat soustraient nos regards de verre
Était dessins gris
Informe
22/01/2016 Le dessin de Goethe
Il voudrait
Il se voudrait
En creux, là, il remplit il occupe il suture et les yeux se vident - une mer
répand le ciel
En creux, là, il rétrécit il disparait il trame et le ciel se vide - une mer
absorbe le ciel
En creux, là, il retire filigrane dessin à peine déposé
les yeux se vident en Bas
Les coupes pleines en Haut
12/01/2016
Blanc dessin
Me penche et rien n'advient
L'horizontalité demeurera
20/07/2015
Isolée dans l'obscur - Les brassées de traits ont tari leur sillon - Blanc sur
blanc le dessin n'advient pas à la lumière - Isolée dans l'obscur - Les artères
collabées arrêtent le flux liquide - Dessin cyanosé englué comme un oiseau
mazouté recueilli au bord de la plage un soir tombant - C'était - C'était en
1978 - Isolé dans l'obscur le dessin - Suffocation - Ses traits l'abandonnent -
Sous la mantille noire le rouge entame le sourire de la veuve
31/10/2014 Dans l'atelier
Les choses suivent leur course. Dessins - Ecriture en dialogues
Avec
Et peut-être un peu ou plus, avec discrétion du côté des propres pentes.
Des choses précarité du laboratoire qui s’archivent au fond d’un tiroir.
Traces des pensées sautillantes sur les pierres de l’actualité, des lectures et des géographies impriment les chorégraphies des moments de silences pleins du vide créateur
11/08/2014
Dessiner - une verticale, puis deux, puis trois, puis une multitude. Plisser les yeux - attraper la perspective comme Myopie
03/06/2014
Écrire, tant
écrire le dessin Dessiner, tant dessiner l'écriture
Faire advenir sous la main les pauvres brindilles d'un monde désarçonné
Comment poursuivre, femmes que nous sommes, avons toujours été, et resterons
Écrire le dessin Dessiner l'écriture
Et se rappeler que nous ne sommes pas seules Le tracé, la texture, le motif, et
puis l'espace et le temps et d'autres encore portent dans les linceuls du
papier les restes de nos voix implorantes
J'ai dessiné les mots oiseaux
J'ai écrit les sautillements des dessins
01/05/2014
Гранада
Ça n'a rien à voir avec les chiens féraux. Ils grattent la peau de la terre pour exhumer les mots que les hommes utilisent avec cet accent qui ne connait pas les frontières. Langue guerrière. Langue abjecte. Qui écrase, qui écorche et qui tue au rythme d'une féroce rengaine. Ces chiens-là, féraux par choix rejettent dans les marges du monde ces lambeaux de mots. Les lavent, les soignent, les débarrassent de leurs scories, puis comme un corps de ballet aux mouvements savamment annotés, les agencent sur une page blanche pour créer une étrange partition que de
Rares hommes
03/12/2013 TABLEAU 1
À traversé la ville.
Et toute cette agitation.
Ils sont venus pour assister au spectacle ; simple divertissement pour ceux qui peinent à trouver leur propre verticalité.
Sous la coupole des nuées agitées, elles se sont dressées, altières, n’offrant en guise d'or que leur bois mal équarri. La veille de ce jour, dans les replis d’un atelier niché au fond d’une ruelle étroite, entre les hauts murs des maisons à étage, ils se sont affairés à la lueur des lampes, dos ployés luisants de sueur que les diptères ailés dévoraient avidement. Armés de rabots, ils se pressaient, sans mot, honorant une secrète commande. Demain matin dès les premiers éclats du jour, les troupes se mettront en marche, forçant le pas à l’allure domptée de légionnaire. Les chiens méfiants s’écarteront de leur chemin. Ils savent d’instinct qu’il ne faut pas provoquer l’animal fiché dans le cœur des hommes assoiffés de violence. Et elle court, drapée dans ses voiles de lin que les fibules retiennent à peine. Ces jours derniers, elle est restée sourde à la rumeur hystérique dont la confusion grandissante nouait les mailles d’un filet de haine qui bientôt enserrera la ville blanche.
Traverse la cité les pieds sanglés dans des sandales de cuir finement ouvragé, se hâte vers l'Est où se dessine une lisière festonnée d'ifs, à l’endroit où le soleil s’arrondit. Sa robe se défait. De ses mains manucurées de roses printanières, elle retient les tissus qui lui échappent en glissant sur le sol poudreux du chemin dans un bruit de plainte qui lui évoque les voiles des felouques claquant au vent. Elle s’égare. Elle ne l’a pas soutenu lors de la montée vers la colline, le corps plié sous le poids de la poutre. Une autre femme l’a relayée - Véronique. Elle sait que la multitude bigarrée l’a pressé de toute part lors de l’ascension. Multitude poussée par les centurions à cheval ou plutôt aiguillonnée par les lances dressées, promptes à transpercer les indomptables et les indécis. Ceux qui refusent. Ceux qui ne vont pas dans le sens indiqué. Ceux qui esquissent une diagonale, qui désorganisent l’ordonnancement de la ligne ou qui coupent la file. Ceux-là, sont considérés comme rebelles. Ici, dans la ville blanche on est vite accusé de rébellion. C’est alors l'assurance d'un enfermement dans un puits sombre, sans autre forme de procès que le temps qui vide les corps et les esprits.
La femme arrivera trop tard au sommet du mont.
Éblouie par les premières lueurs matinales, elle devine les silhouettes
informes de la foule qui piétine, sidérée, tendue entre la ferveur et l’effroi.
Sur les têtes écervelées, les nuées accélèrent leurs courses. Une dilution
savante faite de gris de Payne se mélange au violet sombre d’où fusent quelques
lumières ocre-jaune. Un grondement semblable au roulement de tambour fend la
terre et le ciel, entrainant l’assemblée dans une confusion des corps qui
s’entremêlent. Danse.
À son tour fend le rempart formé par les corps des soldats et des curieux. Se jette à ses pieds dans un geste d'imploration. Libre orante. Puis, joignant les mains elle lève vers lui un regard suppliant. Les yeux clos derrière ses paupières baissées ne la voient plus. Ni elle ni le monde.
16/11/2013 Sniper
Retranché derrière un rempart de pensées qui ne lui appartiennent pas Figé dans ses chairs Oeil rivé dans le cercle du viseur Voile
14/11/2013
Ça a à voir avec les chiens féraux. Tracent une route sans esprit d'indécision, ni concertation préalable. Néanmoins, aucune route nommée ne leur résiste. Ils courent, flairs en alerte, gueules ouvertes, baveuses et fumantes, rouges écrins offerts au nacré dépoli des crocs usés ; déviant leur trajectoire dès qu'un effluve humain taquine leur muqueuse vibratile. Libres ou pas. C'est ça l'esprit des féraux, qui se laissent happer par la nuit et se replier dans l’ombre du jour. Fuir le déjà connu, à l’affût de ses indices pour ne plus le connaitre à nouveau. Et si l’un se détache du groupe, les autres ne détournent pas la tête, ils poursuivent la route qui ne se nomme pas. Et si l’un se détache du groupe pour arrêter la course éperdue, ne fût-ce qu’un instant, y laisser sur la rétine s'imprimer une seule image. Une image choisie, cadrée ; celle d’un port de pêche désaccordé, en noir et blanc, vide d’activité humaine, saturé de cris d’oiseaux qui se pourchassent dans le ciel outremer du levant. Celui-là s’est arrêté, ancrant fermement sa présence fauve sur quatre pattes musclées d'avoir trop couru dans la ville rebelle. Celui-là n'a pas vu l'éclair fatal trouer l'ombre nocturne de sa contemplation.
16/08/2013
Ça n'a rien à voir avec les chiens féraux.
Quand l'humanité est dominée par la sauvagerie des bourreaux.
À en perdre le
sommeil.
Ou se perdre dans le sommeil.
C'est selon...
14/08/2013
Ça n'a rien à voir avec l’étude des chiens féraux
Idées du sauvage traversent les lignes
27/07/2013
Les lignes blanches dessinent leurs propres motifs autonomes faits d'envolées et de replis que des agrafes d'acier viennent contrarier en un assemblage contraint
La beauté est un leurre
24/08/2012 La robe
Elle n’aurait jamais dû se trouver sur ce trottoir en cette fin de journée printanière.
Visiblement, le soleil renoncera à faire son apparition. Le ciel est gris
dehors comme dedans, à l’égale de son humeur. Les hauts murs de la ville
encadrent les petites fenêtres aux vitrages obscurs, fermées sur des intimités
qui ne se dévoilent pas. Les toits d’ardoises vieillies par le temps ont perdu
de leur éclat. Un lichen insistant les recouvre d’une étoupe rugueuse de
couleur rouille, leur donnant cet air sinistre qui éteint l’éclat de la cité –
tout est pesant, l’absence de lumière alourdit l’ensemble. Seules les vitrines
ornées d’objets hétéroclites apportent un semblant de vie. Malgré la sensation
de tristesse, elle aime le silence qui se dégage de cet endroit si particulier
qui a accueilli un siècle plus tôt une cohorte de peintres qui ont su faire
école grâce à leur palette de couleurs vives, en quête de lumière. Une robe
posée sur un mannequin en osier attire son regard. Elle se détache de la
multitude par la délicatesse de ses couleurs. De grosses pivoines nuancées de
rose tyrien et de rouge vermillon et carmin ornent le tissu de crêpe nacré de
blanc selon un agencement censément aléatoire. Çà et là, un feuillage composé
de taches vertes et brunes encadre les fleurs. De coupe simple, la robe semble
attendre le corps idéal pour entamer un duo romanesque.
Le son cristallin d’une sonnette signale son entrée. Une atmosphère feutrée et chaude repousse le morne extérieur à la limite du palier. La chaleur de l’endroit et le brouhaha des personnes agitées de gestes vifs dénouent les fils de ses sombres pensées. Un fier sourire l’accueille. Promptement, elle désigne la robe convoitée en nouant ces deux bras au niveau de la taille du vêtement. Puis, d'un instinct animal, elle plonge son visage dans le soyeux de la trame en respirant bruyamment son odeur de terre mouillée. Le rideau de velours rouge de la cabine d’essayage l’absorbe dans ces plis, l’isolant de l'ambiance animée du magasin – longue inspiration – moment de suspension – détachement du réel.
Prestement, elle enlève ses vêtements en les déposant doucement sur la moquette lustrée par les nombreux piétinements, comme pour éteindre le désir pressant de revêtir la robe – s’en suivra l’envolée lyrique pressentie. Un bref regard vers le miroir situé à l’angle de l’enclos retient son regard. Elle esquisse une moue de dépit à la vue de l'image du corps blanc qui lui fait face et qui se défait vers une inévitable chute. Elle pense soudainement au pantin désarticulé qu'elle a longuement contemplé dans la vitrine voisine. Comme pour se rassurer, elle serre dans ses mains le tissu à l’apparente fragilité. Puis elle lisse fébrilement un dessin de pivoine qui déploie la finesse de ses formes dans toute la crudité de l’instant. Elle se sent transportée dans cet extrême qu’un orient met en exergue en une beauté éphémère – la femme. Le miroir égare. Ouvre une perspective semblable à un gouffre dans ce lieu en repli du monde qui l’attire vers une folie. Trois coups brusques la font sursauter, l’extrayant brutalement de cet excès d’irréalité. Prestement, d’un geste assuré, elle enfile le vêtement qui amorce sa lente coulée douce sur son corps. Elle lit dans le reflet du miroir son image qui tremble, bouche béante – elle laisse échapper un cri.
Le vêtement perd sa forme et son éclat. Seul, le chant incarne avec force la dramaturgie de l’endroit. La fleur semble s’épanouir encore davantage. La robe ne se dérobe pas. Elle habille le corps d’une théâtralité de quelque chose qui s’absente. Dans l’espace exigu de la cabine, la même scène se joue à huis clos. L’éclat spéculaire de la fleur poursuit son épanouissement à l’endroit du cœur, imbibant le tissu de sa sève rutilante. En tombant, le corps a décroché le lourd rideau de velours la recouvrant – elle – la femme – d’un linceul de pourpre.
Les applaudissements ont retenti sur le dernier cri de Madame Butterfly.