dimanche 31 juillet 2016


samedi 30 juillet 2016




Carte postale N°3
 
Attention chien méchant !


C’est un hameau bien tranquille. Un hameau ponctué de maisons identiques conformes au passé paysan, dont la disposition architecturale en phase aux multiples occupations est dédiée, pour l’une à l’habitation, pour l’autre à la grange, l’étable, la soute aux cochons, les clapiers à lapins, les écuries à chevaux, et qui s’achèvent à l’extrémité du mur par un escalier, voire une niche à chien. Les constructions étirent leurs longueurs en fonction du nombre d’habitants et d’animaux. Aujourd’hui, l’activité agricole s’est repliée vers les strates de l’histoire. Alors, chacun (héritiers et nouveaux propriétaires) s’applique à reconvertir, restaurer, rafistoler, embellir, déplacer, réhabiliter, en préservant ou détruisant telle ou telle mémoire. Une mémoire, qui selon les humeurs et les goûts mérite ou ne mérite pas d’être sauvegardée. In fine, le parachèvement du toilettage du hameau fixe les époques dans un simulacre de parure, comme s’il revêtait chaque jour ses habits cérémonieux du dimanche.

Marcher jusqu’à ce que la pensée se conjugue avec le réel. Car le réel propose toujours. Qu’il se fasse eau, air, vent ou autres sensations, son expérience se charge d’une variété d’images que notre pensée s’applique à débusquer afin de construire des récits.

Ce soir, le hameau s’apprête à s’endormir dans le palpable silence. Les hommes ont déserté leur espace extérieur vers le repli de leur chez eux. La maison aligne ses mesures aux belles proportions. Les murs blancs exaltent la pierre si particulière à la région. Blanche. Tendre. Favorable à l’égard des ciseaux du sculpteur. En accord avec le soleil déclinant, le toit répand son ombre sur la façade percée de fenêtres symétriques disposées de part et d'autre de la porte d’entrée que deux pots de géraniums rouges soulignent. Une bande de pelouse soigneusement taillée esquisse une assise dans laquelle l’architecture semble s’enchâsser avec légèreté, comme si la densité du bâti se condensait dans la parfaite géométrie du bourrelet herbeux.  Au-delà de la bordure végétale,  les gravillons blancs éclaircissent une cour dénudée.  Une deuxième bande de pelouse environne le périmètre de la cour, dont une extrémité se prolonge d’une aire rectangulaire non clôturée, à des fins potagères. Trois plants de tomate dressent leur verdoyante superbe vers le ciel. Les haricots verts et les pommes de terre déclinent une palette de vert qu’aucune feuille brune ne vient altérer. Nulle trace d’existence de l’ancienne soute aux cochons, des clapiers à lapins, de la niche du chien et du potager prolongeant le mur de l’enceinte s’ouvrant sur un grand portail. Ils ont disparu sous le coup de la loi de la tabula rasa, remplacés par un fossé à la section parfaitement trapézoïdale aux bords façonnés par la truelle, afin que les parois ne s’effondrent pas.

Ce qui frappe l’observateur jusqu’à l’assourdissement, c’est le silence de l’endroit, pas seulement le silence sonore, ni celui du vide ou des microphénomènes ; c'est la perception d'un silence total  qui oppresse le lieu, comme l'absence d’une herbe folle, d'une course d’un animal domestique, d'un envol d’un oiseau ou celui de l’inclinaison d’un arbre sous l’effet du vent. Comme si tout se pétrifiait hors du mouvement de la vie, du temps et de l’espace. Néanmoins, quelque chose frappe encore plus fort que le poids du silence. Une frappe que reçoit l’œil. Un coup de stylet en somme !

Seul, planté au milieu de la pelouse, un panneau de signalisation dresse son incongruité rouge frappée de lettres blanches. Attention chien méchant !

Ici

Les hommes

jeudi 28 juillet 2016





Carte postale N°2 ; à l’amie, à la sœur…
 
 
Jardin ouvert

C'est très amusant de se promener et de se focaliser sur ces motifs de jardins ; même les plus petits, ceux  qui agrémentent les espaces les plus incongrus.
Au-delà de la visée décorative, on leur accorde d'autres fonctions telles de garde-fou d'un escalier à qui on a oublié ou eu le manque de moyen d'y attribuer une rambarde. Ou alors un espace originellement sans fonction ; et il suffit de quelques pots et de fleurs et voilà que le jardin advient. Et puis il y a le plaisir de celui ou de celle qui conçoit cette accumulation de pot, car accumulation il y a ; c’est une chose récurrente. Sans ordre préétabli, ce sont les contenants qui retiennent l'attention. En terre, en céramique, en fibrociment pour les plus classiques, mais il y a les rois de la reconversion ou du détournement comme les troncs d'arbre évidés ( ici, on affectionne ce genre d'objet) les vieilles caisses en bois de récupération qui visiblement ne trouvent plus leur usage de contenant d'objets, les bassines en plastique colorées et de toutes tailles, les paniers dont on sait qu'ils ne tiendront qu'une saison et puis surtout ce qui donne le plus de saveurs poétiques, les cafetières émaillées ou en inox dépoli, les casseroles, les plats, les vases ébréchés ou écaillés. Un éventail de quincailleries et d’ustensiles de cuisine et de salle de bain déplient leur forme et leurs couleurs sous les auvents, dans les recoins et les angles des constructions qui rassurent l'occupant attaché à ses objets comme autant de petites touches pointillistes de leur vie. Au-delà des contenants, ce sont leurs supports qui régissent l'endroit. Des troncs d'arbre, des pierres, des agglos en ciment, des planches reposant sur deux plots de bois créer un petit banc, ou si on est un peu plus aventureux, une mini terrasse sur laquelle se dressent d'autres échafaudages. Mais il y a également les suspensions. Ne pas oublier la verticalité qui fait que le regard se lève doucement vers les systèmes d'attache, comme le crochet, la chainette, le macramé, le clou ; pas n'importe quel clou, le clou sophistiqué collé à une plaque qui représente quelque chose de familier comme un nain, un chat, une maison selon une variété de matières et de couleurs. Et puis, il y a les plantes, les élancées, les rampantes, les grimpantes, les graciles, les fragiles, les touffues et les abattues avec de grandes feuilles, des petites, des esseulées ou en groupe ; découpées, rondes, fines, pointues, rondes ou dentelées, lancéolées, palmées, auxquelles répondent les fleurs en profusion. Depuis le banal géranium rouge, rouge oranger qui évoque celui de  notre enfance, des pétunias, des surfinias, des gauras, de la lavande, des œillets, de couleur jaune, bleu, rouge, violet, mauve, des camaïeux des bicolores.
Un fil relie cet ensemble chamarré et disparate. Un fil qui révèle une présence absente, de celle que l'on ne voit jamais, mais que l'on devine avec son arrosoir, son pot à eau, sa casserole ou autre objet et qui dès le matin ou le soir répand la vie. Un jardin de vie ouvert, enjolivé, agrémenté, tellement précieux pour celle qui saura bientôt relever à son tour au détour d'un chemin les indices d'un jardin accessible au monde.

mercredi 27 juillet 2016



Marcher carnet en poche. Marcher rien que pour sentir l'air laver les yeux des scories encombrantes. 
Marcher pour lessiver les dessins, les essorer et les étendre - nus - dans leur plus simple appareil paysager. Dans le carnet, page après page l'eau sale dépose ses dessins résiduels. 

 

mardi 26 juillet 2016




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Carte postale N°1 ; à l’amie, à la sœur…





 « Le lys martagon "



Une fleur, rien qu’une fleur. Pas de quoi en faire un monde. Cependant !

Dissimulé dans la pénombre d’un sous-bois, le randonneur passe son chemin sans le voir. Il faut dire qu’il est rusé le lys martagon avec sa tige élancé vers un ciel lumineux qu’il ne trouvera que s’il ose sortir du couvert ombragé des arbres avoisinants. À cette verticale rigide d’un vert tendre se cramponnent quelques tiges courtes élargies à la base de quelques ébauches de feuilles  prolongées de fleurs à la ciselure majestueuse et raffinée. Des fleurs aux pétales recourbées en forme d’anse bouclée déploient en leur centre leur carnation fraiche de joues d’enfant couperosées par les frimas hivernaux, rose violine, ponctuées de taches de rousseur. Du cœur de la fleur se dresse les étamines chargées de pollen poudreux que les abeilles viendront inhaler. Dans un jardin privé, jamais nous ne croiserons un lys martagon. Rebelle et affranchi il fuit la compagnie des hommes et refuse toute domestication. C’est au nom de cette insoumission que le regard avisé, épris de liberté trouve en cette miraculeuse rencontre la poésie de Claude Celan, dont le souffle musical de la prose vibre des rythmes aux accents de détresse qui saignent le sens. En résonance avec l’Entretien dans la montagne dont voici l'incipit, nous nous laissons infléchir au détour d'un chemin par le lys martagon qui strie non seulement le miroir de notre rétine, mais également notre pensée pétrie de dissonance. ( Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint… )